Depuis janvier 2020, l’Institut Paris Région réfléchit à ce nouveau concept, le zéro artificialisation nette, dont le Plan biodiversité a fixé le principe en 2018. Avec quatre séances déjà consacrées à cette problématique de protection des sols, l’institut explore son contenu, ses enjeux et implications sur la fabrique urbaine.
"Le Zan attise la curiosité sur un concept nouveau, lequel attire le regard sur un écosystème longtemps méprisé, en train de devenir un acteur politique important, le sol", résume Frédéric Denhez chargé d’animer les ateliers organisés par l’Institut Paris-Région (IPR) jusque fin juin. Pour autant, de quoi parle-t-on ? Comment le traduire sur le terrain ?
Aujourd’hui encore, la définition de l’artificialisation fait débat. Au sens large, elle vise tous les changements d’usage des sols qui aboutissent à une perte de naturalité. Dans son acception la plus courante, elle concerne la conversion des espaces naturels, agricoles et forestiers en espaces à usage urbain. Or, comme le soulignent Thomas Cormier et Nicolas Cornet de l’IPR, cette approche "ignore la valeur écologique apportée par les parcs et jardins urbains, tout comme la pauvreté écologique de certains espaces NAF [naturels, agricoles et forestiers] pollués ou privés de leur terre végétale". L’évaluation de l’artificialisation demeure donc insatisfaisante. Marc Barra, ingénieur écologue à l’IPR et Philippe Clergeau, professeur au MNHN, font d’ailleurs le tour des principales questions écologiques posées par le ZAN dans un article récent.
En dépit de ces limites, l’observatoire national de l’artificialisation donne un aperçu de la situation (1). Globalement, sur une décennie, entre 20 000 et 30 000 ha de surfaces naturelles ont été consommés chaque année et ce mouvement est plus rapide que la croissance démographique dans les métropoles et les zones côtières. La France se distingue d’ailleurs de ses voisins européens par une artificialisation plus importante. "Si rien n’est fait, l’équivalent de la surface du Luxembourg pourrait l’être d’ici à 2030, soit 280 000 ha", prévient Julien Fosse dans un rapport réalisé pour France Stratégie en juillet 2019.
Mais, pour atteindre le zéro artificialisation nette, la seule maîtrise des extensions urbaines ne suffit pas. S’y ajoute la restauration d’un équivalent naturel pour toute nouvelle emprise au sol. Il faudrait donc, selon Julien Fosse, "réduire de 70 % l’artificialisation brute et renaturer 5 500 ha/an".
D’où un "casse-tête" pour beaucoup. Comment en effet résoudre "l’équation complexe entre les besoins de développement et la préservation, voire la reconquête de la nature sur le territoire ?", s’interrogeait l’IPR lors du deuxième atelier. Alors que la densification constitue un levier essentiel, certains intervenants ont rappelé qu’outre sa nécessaire adaptation à la diversité des tissus urbains, son acceptation sociale demeurait incontournable. Or cela ne semble pas irréaliste si l’on trouve "de nouvelles formes urbaines articulant densité, nature et intimité", observe de son côté Pierre-Marie Tricaud, conseiller paysagiste de l’IPR dans une note récente (2).
D’autant que de nombreuses opérations ont montré que la densité était acceptée quand elle conjuguait qualité des formes architecturales et urbaines et préservation des espaces de pleine terre et biodiversité.
C’est pourquoi, pour densifier sans perdre de nature, le concept d’infrastructures vertes comme les forêts urbaines, fait des émules. De même, la limitation du bétonnage dans les nouveaux projets pourrait s’envisager à travers l’introduction d’un coefficient de pleine terre.
Pour reconquérir de la nature, le 3ème atelier rappelait que l’on pouvait aussi désartificialiser certains espaces urbains. Des leviers et des actions pourraient appuyer cet objectif, tels que la mise en place d’un zonage particulier dans les documents d’urbanisme, la renaturation des berges ou le permis de végétaliser.
Reste à voir sous quelles formes peuvent s’incarner les initiatives de renaturation et à quelle échelle. Marc Barra soulignait que si le potentiel est important dans les villes, l’exercice n’en est pas moins difficile. Différents modes de renaturation sont possibles, comme le génie écologique, qui consiste à laisser faire la nature, la reconquête ou le "réensauvagement". Quelle que soit la modalité choisie, l’objectif est de revenir à des sols vivants et à la pleine terre. Mais, a-t-il regretté, il faut 5 à 10 ans pour retrouver des terres de qualité. Dans cette perspective, beaucoup considèrent que le hors-sol, les boisements monospécifiques ou encore l’ornemental ne correspondent pas à de la renaturation.
D’où, là aussi, un problème de définition et le besoin d’estimer la valeur écologique des terrains et les services qu’ils sont susceptibles de rendre. A titre d’exemple, les friches peuvent constituer des gisements importants, avec une diversité biologique parfois plus grande que celle des jardins.
Enfin, le 4ème atelier a montré combien il était important de s’appuyer sur la connaissance en amont (avec des atlas de la biodiversité communale notamment) et de privilégier l’évitement, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Car, l’idée qu’il n’y aurait pas de perte au plan écologique est largement fictive. L’analyse des compensations issues de 74 projets en Île-de-France, réalisée par Maxime Zucca (IPR), en témoigne. La biodiversité est largement perdante et la compensation se fait essentiellement sur des zones naturelles.
Alors on le voit, défricher le terrain du ZAN demeure complexe, il reste encore beaucoup à faire.
Virginie Bathellier
1) https://artificialisation.biodiversitetousvivants.fr/parution-des-donnees-dartificialisation-2009-2018
2) À titre d’exemple, ce dernier nous "invite à regarder autrement la maison de ville en bande, les cités jardins, ou certains modes d’habiter tels que le béguinage moderne ou l’habitat partagé", dans une note publiée par l’IPR en juin 2020.