Le test grandeur nature d’un aménagement cyclable est possible, comme en témoignent les deux nouveaux guides du Cerema. Il complète la boîte à outils des aménageurs, en offrant une autre manière de fabriquer la ville.
" Réaliser des aménagements cyclables provisoires, en tester in situ, c’était déjà possible ! Nous n’avons rien inventé dans notre guide…", observe Thomas Jouannot, directeur de projet "modes actifs" au Cerema. "Nous avons juste mis en lumière ce qui existe dans la boîte à outils de l’aménageur." Sortis au printemps dernier, deux guides du Cerema traitent ainsi des aménagements provisoires en faveur des cyclistes et des piétons.
© Olivier Chassignole - Métropole de Lyon
Avec le confinement, la situation s’est avérée totalement inédite. "Dans certains secteurs, la baisse drastique du trafic motorisé avait atteint jusqu’à 90 %", remarque Thomas Jouannot. À l’époque, sous les yeux des acteurs de l’aménagement, de vastes espaces publics se libèrent de la voiture. La prise de conscience de l’étendue des possibles revêt soudain une dimension très pratique. De plus, épineuse question du moment, le niveau de confiance que les usagers mettront dans les transports en commun au déconfinement s’avère des plus difficiles à anticiper. Pour Thomas Jouannot, "le vélo est alors apparu comme une solution assez évidente pour permettre de se déplacer dans des conditions sanitaires satisfaisantes." À l’étranger, certaines villes en profitent d’ailleurs pour développer des aménagements cyclables temporaires. C’est le cas, par exemple, dans des villes européennes comme Berlin. "Donnons de la place aux modes actifs, notamment aux cyclistes, - c’est un peu plus simple en ce moment avec un trafic motorisé faible - et, nous verrons ensuite comment les aménagements se comportent lors de la remontée en charge", résume Thomas Jouannot. Voici l’état d’esprit des villes pionnières qui se lancent alors dans l’expérience.
Réversibles, modifiables, les aménagements cyclables de transition se distinguent de leurs cousins "classiques". Ici, on parle de test grandeur nature sans étude poussée au préalable. Pour le concepteur, Thomas Jouannot précise "qu’il s’agit de sentir les aménagements qui ont le plus de chance d’être utilisés par les cyclistes. Et les associations d’usagers cyclistes peuvent vraiment y aider." Puisqu’elles détiennent une connaissance très pratique du réseau cyclable local, elles connaissent les difficultés concrètes des cyclistes sur le territoire. Ce qui complète utilement l’intuition du concepteur, de même que le socle d’études existantes. Ainsi, certains secteurs potentiels correspondent à des "lignes de désirs", autrement dit aux trajets où le besoin s’avère des plus criants. Ou, il s’agit par exemple d’interruptions d’itinéraires à lever : "Penser le réseau cyclable dans son ensemble, réfléchir à la continuité des itinéraires, demeure indispensable."
Du reste, l’évaluation in situ s’avère fondamentale dès le départ. De nombreuses collectivités les mettent en place. Les résultats sont ainsi objectivés, apportant une certaine légitimité aux aménagements. Sur les axes concernés, on mesure l’augmentation de la fréquentation cycliste, que ce soit par comptages automatiques ou manuels. Et, s’y ajoutent des comptages routiers et des comptes rendus réguliers sur la congestion automobile. On constate d’ailleurs que le succès d’un aménagement ne saute généralement pas aux yeux. "Comme dans l’exemple très médiatisé du boulevard Voltaire à Paris lors des grèves de décembre 2019, un axe peut être fréquenté par plus d’usagers cyclistes que motorisés…, explique le directeur de projet. Mais, les cyclistes prenant moins de place, cela ne se voit pas forcément !" Vient ensuite le temps des ajustements éventuels, des questions sur la pérennisation de l’aménagement. "Observer une congestion sur un axe pendant une semaine demeure très insuffisant pour en tirer des enseignements", poursuit-il. Comme pour toute modification de plan de circulation, il y a toujours un moment de latence durant lequel les pratiques se réorganisent face aux embouteillages." Le Cerema accompagne ainsi les collectivités qui le souhaitent dans la mise en place de l’évaluation de leurs aménagements cyclables de transition.
Plus légers, moins coûteux que les aménagements traditionnels, les aménagements cyclables de transition se prêtent à un déploiement rapide à une large échelle directement visible sur le terrain. Même si la réalisation n’est optimisée qu’après-coup en décalé, ce mode de faire offre néanmoins de belles opportunités pour attirer le cycliste. "En quelque sorte, on remplace partiellement les études amont (simulation de trafic, études détaillées…) par le test in situ, résume Thomas Jouannot. C’est une autre manière d’aménager. L’aménagement transitoire n’est pas la seule, elle ne s’oppose pas à l’aménagement traditionnel. Mais, c’est une possibilité à part entière dont dispose l’aménageur."
Nathalie Garat