Le 28 janvier 2020, un « Matins de l’Aura » était consacré aux îlots de chaleur. L’îlot de chaleur urbain est une anomalie climatique liée à l’urbanisation et manifeste la difficulté de refroidissement nocturne des villes. Près de cent personnes ont écouté les interventions de Julien BIGORGNE, ingénieur environnement à l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) et Benjamin MORILLE, docteur ingénieur, expert en climatologie urbaine.
La canicule de 2003 et les décès qu’elle a engendrés ont été le déclencheur des travaux de l’APUR sur la question du climat en ville. La première démarche a consisté à comprendre le phénomène des îlots de chaleur afin de proposer des outils adaptés aux acteurs de l’aménagement et de l’urbanisme.
Cinq facteurs sont identifiés :
La végétation joue un double rôle dans le rafraîchissement d’une ville grâce à l’ombrage et l’évaporation. L’arbre en ville, selon qu’il est en alignement ou dans des parcs, a des conditions de développement très contrastées. Les sols des arbres d’alignement sont souvent de mauvaise qualité, pauvres en micro-organismes, et ces végétaux souffrent plus rapidement du stress hydrique que ceux situés dans des parcs.
Le choix des essences d’arbres constitue aussi un enjeu : celles dites rafraîchissantes nécessitent une consommation élevée en eau et les résilientes supportent le stress hydrique mais ne rafraichissent pas. La volumétrie de la canopée et l’opacité du feuillage ont une incidence sur l’ombrage en journée.
La végétation diffuse concerne les plantations en pied d’immeuble ou les grimpants le long des façades. La végétalisation verticale se heurte souvent à deux freins : l’atteinte à la qualité patrimoniale et le risque pathologique. Enfin, la végétation interstitielle, celle qui pousse spontanément sur l’espace public (trottoirs, chaussées…), est trop souvent considérée comme la résultante d’un manque d’entretien, alors qu’elle peut apporter une ambiance paysagère nouvelle et surtout être source d’évaporation et donc de rafraîchissement.
Le second facteur est l’eau : cela concerne l’accès à la rivière, la présence de fontaines, de bassins ou encore de brumisateurs. L’expérience montre que l’aspersion d’une chaussée fait chuter la température d’une dizaine de degrés. Le cycle de l’eau, son stockage en période de pluie et sa restitution en période de chaleur (évaporation et arrosage) constituent ainsi des enjeux forts pour assurer l’humidification des sols et donc un rafraîchissement.
Les matériaux de l’espace public influencent également le climat urbain. La couleur et la rugosité constituent deux propriétés physiques ayant une incidence sur la réflexion solaire (albedo). Les revêtements trop sombres ou trop clairs sont à éviter pour des raisons de réflexion, d’éblouissement ou encore de capacité à déstocker la nuit. La question de la constitution du sol en profondeur et de sa porosité rejoint celle du cycle de l’eau c’est-à-dire de la capacité du sol à stocker l’eau, à permettre aux végétaux d’y accéder et d’assurer une évaporation suffisante.
Un quatrième facteur est celui de l’activité humaine. Cette chaleur anthropique provient notamment de la circulation des véhicules motorisés, des rejets des climatisations ou encore des réseaux de chaleur sous terrains. A l’inverse, la fraîcheur naturelle émane des caves ou des rues étroites peu exposées au soleil. La ventilation naturelle sur cour du XIXè siècle permet un rafraîchissement efficace des appartements ; elle a été abandonnée pour des raisons de sécurité incendie et d’accès des secours.
Le phénomène des brises thermiques constitue le dernier facteur. En période estivale, la nuit, par ciel dégagé et absence de vent, des vents locaux font baisser localement la sensation caniculaire et améliorent la dispersion de la pollution. A l’échelle d’un quartier, les secteurs en pente accueillent des brises thermiques. Ces brises sont observées si les rues sont dans le sens de la pente.
► Benjamin MORILLE a développé au cours de différentes thèses au sein du laboratoire de l’école d’architecture de Nantes un outil de simulation numérique qui permet de mesurer les effets de l’aménagement urbain sur la température en ville. En agrégeant plusieurs variables telles que le rayonnement solaire (direct ou diffus), la vitesse et la direction du vent, la température ou l’humidité de l’air, mais aussi l’orientation des bâtiments, la nature des matériaux et la présence de végétal, le simulateur va rendre compte des phénomènes physiques qui régissent le climat et montrer les variations de températures entre les différentes zones d’un quartier selon les aménagements. Cet outil permet également de quantifier l’efficacité du rafraîchissement en fonction des choix de conception, notamment en comparant un bâtiment en matériaux naturels et biosourcés avec un bâtiment conventionnel.
Des expérimentations dans des quartiers de Lyon, Marseille et Paris ont permis d’établir des diagnostics très précis et de faire des préconisations ciblées pour améliorer le confort thermique.
Les outils de modélisation sont conçus pour aider à la conception. Ils permettent de tester différentes variantes au projet, en représentant de manière exacte et explicite la forme urbaine et d’observer les comportements thermiques dans différentes situations.
► Comment rendre la ville plus résiliente ? L’essentiel réside dans le changement des pratiques. L’arrosage pour rafraîchir la ville se heurte à la préservation de la ressource et aux restrictions ; des réseaux d’eau non potable ou les anciens réseaux industriels et agricoles pourraient être réutilisés. Mais le coût de reconversion et d’entretien de ces réseaux est un frein. Entretenir les rues autrement, laisser la végétation interstitielle s’installer suppose de changer de regard sur la place du végétal en ville et de changer au fil du temps les matériaux au sol pour plus de porosité. Chasser les consommations d’énergie à « rétroactions positives » (circulation véhicules motorisés, climatisation) revient à réduire la place de la voiture en ville en modifiant les pratiques de déplacement vers plus de transports en commun et de modes doux.
Dans les documents d’urbanisme, l’article 15 du PLU permet de faire des préconisations spécifiques relatives aux bâtiments : orientation, choix des matériaux (empêcher les façades vitrées exposées sud par exemple), ventilation… afin d’éviter l’inconfort thermique.
Cette question doit devenir une composante des programmes d’aménagement au même titre que le nombre de logements, d’équipements et de locaux commerciaux, l’intégration des espaces verts… Elle doit accompagner la phase de conception et de mise en œuvre de manière itérative. Cette réflexion, encore très récente, nécessite d’être expérimentée pour ensuite être vulgarisée.
Améliorer le confort thermique en ville est donc le fait de multiples acteurs : climatologues, urbanistes, architectes, aménageurs, élus, services des collectivités (voirie, parcs et jardins…) mais concerne également les habitants dans leurs pratiques et leur regard sur leur environnement,